Cahiers / Bruno Serralongue

Bruno Serralongue, courtesy galerie Air de Paris

Bruno Serralongue
Cahiers (août-décembre 2003), Dervallières
Diaporama, projection sur écran-vitrine, 14 rue Jacques Callot, Nantes
du 30 Janvier au 27 février 2004

propos

Les photographies de Bruno Serralongue documentent « l’actualité » mondiale. Mais l’usage marginal de l’information que l’artiste a mis en place en questionne les pratiques mécaniques et leur capacité  à témoigner de la réalité. L’acuité de son rapport au monde via son traitement particulier de l’information offre à l’artiste une reconnaissance croissante.

le projet

Invité à Nantes par l’association Entre-deux dès 2001, le projet de Bruno Serralongue se précise en 2003 avec la proposition d’un support de projection d’images sur la vitrine du bureau et documentation de l’association dans le quartier des Dervallières. Visibles de la rue, deux écrans se juxtaposent et projettent à la nuit tombée une succession de 160 photographies à la proue d’une barre HLM.

Bruno Serralongue est un artiste qui ne s’embarrasse pas de l’imagination. A l’affût de l’actualité, il va au-devant des informations, à la rencontre de la diversité des sujets que le monde peut proposer. Il réalise des photographies de « communautés éphémères », petits ou grands rassemblements d’individus. Fêtes régionales ou manifestations mondiales, il traite ces informations avec équivalence du point de vue d’un simple spectateur. Sans carte de presse et avec une chambre photographique, Bruno Serralongue, en opérateur « inadapté », se rend sur  les lieux de l’information et prend des photographies à la périphérie de l’événement sans possibilité technique de saisir « l’instant décisif ». Au contraire, il prend son temps et ramène de ses expéditions des images des coulisses de l’événement et du public.

À Nantes, Bruno Serralongue propose à travers le diaporama une « géographie » de prime abord invisible et éclatée d’un territoire départemental dont l’épicentre inattendu et décalé se trouve dans le lieu même de diffusion des images : le quartier des Dervallières à Nantes. Cette « géographie » particulière livre en priorité des images de rassemblements festifs et/ou contestataires du département de Loire-Atlantique en 2003 : manifestation des intermittents du spectacle Place Graslin à Nantes, course de rollers à Pornichet, manifestation des ouvriers indiens aux chantiers navals de Saint-Nazaire.
Les photographies les plus nombreuses concernent directement le quartier des Dervallières avec des vues de paysages urbains, des enfants à la sortie de l’école, des documents d’archives1. Subtilement, le diaporama, dans la succession réglée de ses images et la juxtaposition des deux écrans, relie quartier et ville, quartier et communes périphériques, quartier et estuaire. La proximité et la popularité des scènes représentées permettent aux spectateurs une identification en tant qu’acteur et/ou public et déterminent un territoire humain.

Ces rassemblements bénéficient tous d’un prétexte – sportif, politique – qui va déclencher déplacements, regroupements et rencontres de personnes dans des lieux publics circonstanciels (aire de jeux, tribunal, rectorat). Au-delà de l’événement et de l’investissement de lieux publics, les photographies de Bruno Serralongue témoignent de la création de véritables espaces publics. « Qu’est-ce qu’on veut faire ensemble ? » Cette question n’est jamais aussi bien traduite que dans le mécontentement (manifestation) ou le contentement (fête). À travers ces différentes œuvres, Bruno Serralongue offre une suite non typologique de photographies d’espaces publics à travers le filtre de leurs acteurs.

Diffusées sur une devanture de magasin, ces images sont projetées vers l’extérieur : la rue, archétype du lieu public. Ce dispositif en écran rappelle la frontalité du rapport tableau/spectateur dans les musées. Mais le lieu de réception n’est pas un lieu réservé de l’art ; il est avant tout lieu de passage. Arrêt devant l’écran, petits regroupements, échanges, cette intervention artistique génère autant d’espaces publics qu’elle en suscite le désir.