Interview de Jean Joret, Traceur de coque / Pierre Joseph

Pierre Joseph et Jean Joret lors de la présentation du livre.

Maison des Hommes et des techniques, Nantes, mardi 20 février 2001

Contexte du projet

Interview de Jean joret, traceur de coque est un livre réalisé par Pierre Joseph à la suite d’une proposition faite dès 1996 par l’association entre-deux : intervenir à Nantes dans l’espace public sur un territoire resserré, les Dervallières et Zola, deux quartiers limitrophes.

le projet

Dans un premier temps, Pierre Joseph distribue un tract : Rapport de retraite. Il recherche des personnes susceptibles de raconter leur expérience professionnelle. La présence de nombreux retraités des chantiers navals sur les deux quartiers l’amène à rencontrer plusieurs d’entre-eux. Le témoignage de Jean Joret s’impose comme une parole bipartite : individuelle et collective, représentative de la vie de Chantiers. Ce long entretien mené par l’artiste et Jacques Rivet (entre-deux) évite, avec le choix d’une seule voix, l’écueil d’une typologie de surface.

Le livre retrace les différents apprentissages : un métier (traceur de coque), les bagarres syndicales, la camaraderie, la fin des Chantiers… Ce témoignage, sans enlever les difficultés liées à une vie de travail, laissent imaginer des finalités autres qu’économiques à la vie active à travers l’invention de nouveaux gestes pour améliorer la qualité du travail, le plaisir d’exercer un métier et de le trouver noble dans une compréhension du mot qui laisse apparaître la créativité, la responsabilité, la reconnaissance.

Le livre Jean joret, traceur de coque est la quatrième commande passée à un artiste par l’association entre-deux après les affiches de Bruno Peinado, le camion vitrine des produits remboursés de Matthieu Laurette et les portraits de cyclistes de Robert Milin. Pour chacune des interventions, entre-deux a cherché des partenaires, catalyseurs de l’expérience menée par l’artiste. Ainsi la mairie de Nantes a affiché dans le mobilier urbain A bâtons rompus de Bruno Peinado ; le Frac des Pays de La Loire a invité le camion vitrine de Matthieu Laurette à stationner dans ses locaux pour une dégustation gratuite ; les tableaux de Robert Milin, accrochés chacun chez leur modèle, ont été réunis pendant un mois au Lieu Unique.
La Maison des Hommes et des techniques a souhaité s’associer au projet de Pierre Joseph. Ainsi, “le lancement” du livre, comme aime le dire Jean Relet, s’effectuera au sein de l’ancien immeuble de direction de Dubigeon, dernier vestige des Chantiers.

biographie de l’artiste

Alors que l’œuvre de Pierre Joseph est reconnue et essentiellement assimilée à ses personnages vivants à réactiver, il est amené en 1997 à séjourner pour quelques mois au Japon et se retrouve sans repères. Il s’interroge sur le savoir des artistes, les savoirs-faire en général et leurs limites et décide d’apprendre quelques disciplines basiques pour tenter de s’adapter au Japon : le japonais, le base-ball (sport le plus pratiqué dans ce pays), devient ouvrier en usine. Lors de sa dernière exposition parisienne, Pierre Joseph épingle au mur son Curriculum vitæ. Celui-ci a été revu et corrigé par un professionnel de l’emploi. Aux habituelles mentions d’expositions, il a rajouté toutes les autres expériences professionnelles ainsi que les loisirs. Pierre Joseph présente toutes ses expériences  rémunératrices et créatrices. Il montre, sans démonstration, une réalité sociale qui n’épargne pas les artistes : les petits boulots,  les expositions, les influences réciproques qui peuvent s’opérer entre vie active et vie d’artiste !

retour sur le projet

A Nantes, Pierre Joseph s’intéresse aux retraités. Alors que la société de consommation a ciblé cette catégorie sociale essentiellement pour leur pouvoir d’achat et l’organisation de leur temps devenu libre, il essaie de rendre compte de leur vie active. Les questions de l’artiste amènent des réponses qui montrent sous un angle réjouissant ce qu’a été la vie de chantier, réponses qui échappent aux nombreuses tentatives de mémoire, aussi scientifiques soient-elles. Pierre Joseph et Jacques Rivet interrogent Jean Joret sur les aspects créatifs du métier : les apports personnels… les glissements bénéfiques opérés vers la vie privée.
Si Pierre Joseph expérimente les formes que propose le monde afin de tenter de l’habiter, pour Jean Joret, à travers ses apprentissages successifs au Chantier, c’est bien le monde qu’il a essayé. (Essayer le monde est le titre d’un article de J.M. Colard paru dans Les Inrockuptibles, n°141, sur le travail de Pierre Joseph).